George Onslow aux États-Unis

par Baudime Jam

Le 18 mai 1856, dans sa rubrique internationale, la Revue et gazette musicale de Paris fit le compte-rendu d’un concert new-yorkais pour le moins insolite :

“ Dans la dernière soirée de M. Eisfeld, on a executé un quatuor dont la première partie était de Haydn, la deuxième de Mozart, la troisième de Beethoven et la quatrième d’Onslow. L’idée est originale, mais un peu trop américaine.” 1

Certes : mais ce programme n’offrait-il pas un autre sujet d’étonnement ? Qui était ce Onslow que les musiciens d’outre-Atlantique n’avaient pas hésité à placer auprès des trois grands maîtres vénérés du quatuor à cordes, et que le chroniqueur ne jugeait pas utile de présenter à ses lecteurs ? Était-ce ce même Onslow qui figurait au répertoire du fameux Quatuor Concertant, parti sur le Nouveau Continent afin “d’initier les Américains aux douces et ineffables jouissances de la musique de chambre” ? 2

On ne saurait sous-estimer la notoriété internationale de George Onslow et la popularité de sa musique, sans commettre un grave contre-sens : peu de compositeurs ont bénéficié, de leur vivant, d’une aussi vaste diffusion, du moins dans le domaine pourtant si austère et sérieux de la musique de chambre. Ses quatuors, ses quintettes et tout son catalogue furent publiés, non seulement en France, mais aussi en Allemagne (Kistner, Breitkopf & Härtel, Peters, Hofmeister, Siegel, Probst, Schott, Forster, Lischke, Christiani, Cranz, Simrock), en Autriche (Artaria, Steiner, Mechetti, Leidesdorf, Diabelli, Bote, Cappi), en Angleterre (Novello, Augener, Ashdown, Donajowski), en Italie (Ricordi), au Danemark (Hansen), en Hongrie (Rozsavolgyi), et même jusqu’en Russie (Gutheil) où la musique d’Onslow résonne dans tous les salons, ainsi que nous l’apprend son ami Auguste de Sayve, lors d’un séjour que ce dernier fit à Odessa en 1842 :

“ Quatre fois par semaine j’entends des quatuors, chez différentes personnes, et toujours j’y entends votre musique, pour laquelle j’ai le double intérêt d’artiste et d’ami. Je puis même vous dire une chose assez singulière, c’est que le maître de Poste d’ici, il y a deux ans, violoncelle amateur et très admirateur de votre musique, ayant été nommé à Tobolsk, (où l’on fait du quatuor), y a importé vos compositions. J’ignore si vos sons harmonieux ont attiré les zibelines, ou fait fondre les neiges, en sorte que nous avons un hiver très doux ; mais ce que je sais, c’est que j’ai été enchanté de penser que votre génie parvint au fond de la Sibérie, et donne à ces pauvres perclus, des moments de chaleur et de jouissance que leur thermomètre ordinaire ne leur accorde pas.“ 3

À cette longue liste, on peut encore ajouter la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique où l’on sait qu’il comptait de nombreux admirateurs. Il n’y avait pas jusqu’aux États-Unis où l’on pût se procurer ses partitions, grâce aux bons soins de l’éditeur Schirmer 4 ; les mélomanes du Nouveau Monde connaissent donc bien Onslow, et certains n’hésitèrent pas à faire le voyage pour obtenir un précieux autographe de la main du maître, au risque parfois de trouver porte close au domicile parisien du compositeur :

“ M. Onslow,
j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien écrire quelques mesures de musique sur la feuille de mon album qui se trouve dans cette enveloppe. Je suis grand amateur de musique de New-York et je serais charmé de posséder un autographe aussi renommé que le vôtre. Je me suis permis aujourd’hui la liberté de vous visiter mais le concierge m’a dit que vous étiez à la campagne 5, de sorte qu’il ne me reste que ce moyen de [me] procurer ce que j’espère infiniment. N’ayant que peu de jours à rester à Paris, il me serait très agréable de le posséder aussitôt que possible.
Henry Mason“ 6

À l'occasion de la Journée Onslow 2005, qui eut lieu à New York, le Quatuor Prima Vista a donc célébré les retrouvailles d'Onslow et du sol américain : pour la première fois depuis plus d'un siècle après le quatuor imaginaire de Jules Verne, un quatuor français a interprété du Onslow pour les mélomanes du Nouveau Continent.

 

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1. Revue et gazette musicale de Paris, 18 mai 1856. Cf. p.394.

2. Jules Verne, L’Île à hélice, Paris, Hachette, 1937, Tome I, p.11. Dans ce roman peu connu du célèbre écrivain, quatre musiciens français, Yvernès, Frascolin, Pinchinat et Zorn, sont les personnages centraux d’une aventure truculente : des milliardaires américains ont construit une île artificielle, Standard-Island, qui se déplace dans l'Océan Pacifique, et dont le lecteur découvre la capitale, Milliard-City, au gré des tribulations du Quatuor Concertant. Au fil du récit, nous apprenons qu’ils interprètent les œuvres de Mozart, Haydn, Beethoven et Mendelssohn, mais également celles d’Onslow : “le 12e quatuor en mi bémol” (Tome I, p.252, il s’agit de l’opus 10 n°3), et “le quatuor en si bémol” (Tome I, p.31, Onslow composa quatre quatuors dans cette tonalité : opus 4 n°1, 21 n°1, 50 et 62). Que Jules Verne, en 1895, ait mentionné Onslow parmi les noms des grands classiques nous permet de dire qu’à la fin du XIXe siècle, Onslow n’était pas encore oublié et que les lecteurs se souvenaient encore son nom. Du reste, Jules Verne ne fut pas le seul homme de lettres à connaître George Onslow dont on sait qu’il fréquenta des cercles littéraires où il rencontra notamment George Sand, Alexandre Dumas, et Victor Hugo.

3. Lettre à Onslow, Odessa (Russie méridionale), 14 mars 1842. Collection du château d’Aulteribe.

4. La liste des éditeurs d’Onslow est issue de deux ouvrages de référence : le Handbuch der musikalischen Literatur (Leipzig, 1817-27) par Carl Friedrich Whistling et Friedrich Hofmeister ; et l’Universal Handbuch der Musikliteratur par Franz Pazdirek (1ère Partie, Tome XXII).

5. À cette époque, Onslow était atteint des premiers symptômes d’une pathologie qui devait l’emporter quinze mois plus tard : il est donc peu probable qu’il ait pu accéder à la requête de son admirateur Américain.

6. Lettre à Onslow, Paris, 23 juin 1852. Collection du château d’Aulteribe. – Le courrier de cet Américain de New-York dût certainement distraire un instant Onslow de ses soucis de santé.

 

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