Le folklore auvergnat
dans l'œuvre de George Onslow

par Baudime Jam

 


... sur les traces de George Onslow en Auvergne : à Clermont-Ferrand (Place Michel de l'Hospital ), au château de Chalendrat et à Pérignat-es-Allier.

 

Le compositeur George Onslow (1784-1853) demeura fidélement attaché à la terre auvergnate qui l’avait vu naître en y établissant sa résidence, malgré les sollicitations extérieures et notamment parisiennes ; l’importance de son implication personnelle dans la vie musicale locale, mais également dans les affaires civiques, témoigne encore de son intérêt pour cette province où il comptait tant d’amis ; quant à son amour de la campagne, il lui a toujours fait fuir la bruyante vie citadine au profit d’une existence champêtre et paisible. Il était donc inévitable que le compositeur prête une oreille attentive au folklore en usage dans les villages situés aux abords de Clermont-Ferrand : le “coin“ de campagne où Onslow possédait ses terres et ses propriétés était situé sur la rive est de l’Allier et s’étendait de Pérignat-es-Allier à Mirefleurs en passant par La Roche Noire. Les contacts réguliers qu’il entretenait avec les paysans qui travaillaient sur son domaine, et le fait qu’il ait cotoyé la population rurale lorsqu’il résidait à Chalendrat, à Pérignat et plus tard à Bellerive ne laissent aucun doute quant au fait qu’il se soit régulièrement trouvé en situation d’entendre le répertoire folklorique qui accompagnait les fêtes et les cérémonies, mais aussi les travaux des champs. Du reste, les témoignages ne manquent pas pour nous montrer qu’Onslow exprima davantage qu’une simple curiosité à l’égard de cette musique issue de la tradition locale.

Lors d’un concert de bienfaisance, donné le 3 octobre 1835 à Clermont-Ferrand, Onslow, cédant aux vœux de ses concitoyens, se livra à l’une de ses brillantes improvisations : après avoir brodé sur quelques airs à la mode de Meyerbeer et Hérold, “il se transporta dans les montagnes de l’Auvergne, dont il nous a fait entendre les chants naïfs, fort embellis sans doute, mais encore reconnaissables sous la riche broderie dont le maestro les couvrait avec sa brillante prodigalité. M. Onslow ne pouvait pas mieux finir.” (L’Ami de la Charte, 7 octobre 1835.) L’attention ne pouvait être plus délicate et l’on devine combien les clermontois durent y être sensibles, d’autant qu’Onslow semble avoir été réellement sensible au charme ingénu des airs populaires d’Auvergne dont, nous raconte Teillard, “il avait su comprendre la poésie naïve et le charme rustique”. (Cirice Teillard. Un grand homme en province - George Onslow. Paris, 1889, p.26.). Du reste, Onslow ne se contenta pas de citer le folklore auvergnat dans ses improvisations, mais il l’utilisa in extenso dans ses propres compositions, ainsi que le rappelle Alfred Dauger dans une chronique parue en 1850 : “Ses quatuors sont pleins de chants et de bourrées d’Auvergne.“ (Le Pays, 7 octobre 1850, Chronique musicale signée Alfred Dauger).

À plusieurs reprises effectivement, Onslow introduisit dans ses partitions des motifs empruntés au trésor folklorique : ainsi trois Airs de danse des montagnes d’Auvergne, ainsi qu'il les appelle, apparaissent-ils dans les trois quatuors opus 10, soit dans le Trio du Menuet (n°1 et 3), soit comme thème principal du Menuet lui-même (n°2). Onslow a également composé des variations sur un Air populaire des montagnes d’Auvergne qui forment le troisième mouvement du deuxième Trio opus 14 dont il réalisa une transcription pour quatuor (opus 36 n°2). L’exemple est rare dans le répertoire de cette époque et il fallait donc le souligner : il ne s’agit certes pas d’ethnomusicologie et encore moins d’un folklore imaginaire, mais cette incursion du répertoire traditionnel dans le genre “noble“ et “savant“ par excellence ne manque pas de pittoresque et ajoute un ornement à cet élégant provincialisme que George Onslow cultiva sa vie durant.

La montagnarde est une danse à trois temps qu’il ne faut pas confondre, comme le fait Dauger, avec la bourrée auvergnate qui est à deux temps et dont l’utilisation serait par conséquent impossible dans un menuet ou un scherzo. Dans son bel Album auvergnat, Jean-Baptiste Bouillet considérait que “la bourrée a quelque chose de léger, la montagnarde quelque chose de lourd, mais de très original.” (Moulins, Desrosiers, 1853, p.8). L’utilisation de ces montagnardes est tout particulièrement réussie dans les quatuors opus 10 n°1 et 3 : dans le premier, le thème est confié à l’alto et au deuxième violon dans sa forme originale et très simplement harmonisé à deux voix sans bourdon ; dans le second, Onslow fait entendre le thème en alternance au violoncelle solo et au quatuor dans une très belle harmonisation toute empreinte de mélancolie. Ces deux danses appartiennent au répertoire folklorique d’Auvergne et plus précisément à celui du département du Puy-de-Dôme, car contrairement à ce qui se dit parfois, George Onslow n’a jamais vécu ni durablement résidé en Haute-Loire ; quant au Cantal et à l’Allier, il ne semble pas qu’il s’y soit même rendu. Onslow a donc probablement entendu et mémorisé ces chansons dans les villages voisins de ses propriétés situées sur la rive droite de l'Allier, mais n'en indique pas la provenance. Nous avons pu les identifier : la première s’intitule “Chanson de Tauves“ et la seconde “Montagnarde du voisinage du Puy-de-Dôme“. (Album auvergnat, pp.35 et 66). Quant au menuet de l’opus 10 n°2, il emprunte son thème à une « Montagnarde de Sauxillanges », également issue du même répertoire (p.40), et que l’on entend, cette fois, au premier violon. Nous les reproduisons ci-dessous :

 

 

 

Un Noël Auvergnat par George Onslow ...

En 1844 parurent, chez Porquet à Paris, les Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours Tenus à Clermont en 1665-1666 sous la direction éditoriale de Benoît Gonod (1792-1849), bibliothécaire de la Ville de Clermont.

Nous reproduisons ci-dessous un extrait de l'introduction de cet ouvrage historique :

"Les Grands-Jours étaient des assises extraordinaires tenues par des juges choisis et députés par le roi. Ces juges, tirés du parlement, étaient envoyés, avec des pouvoirs très étendus, dans les provinces éloignées, pour juger en dernier ressort toutes les affaires civiles et criminelles, sur appel des juges ordinaires des lieux, et principalement pour informer des crimes ceux que l'éloignement rendait plus hardis et plus entreprenants. [...] La rareté de ces assises, l'appareil qu'y déployaient les juges, contribuaient à les rendre imposantes, solennelles, et leur ont fait donner par le peuple le nom de Grands-Jours." (Introduction, p.I).

Tirant profit des fêtes de Noël qui se célébrèrent durant la tenue des Grands-Jours de 1665-1666, un dénommé Laborieux, de Clermont, écrivit un Noël des Grands-Jours dont le texte nous est parvenu, mais pas la musique. On sait simplement qu'il s'agissait d'un air de sarabande. Pour suppléer à cette lacune, Benoît Gonod demanda donc à George Onslow d'en composer une nouvelle version "dans l'esprit du temps et du pays" (Appendice, N. II, p.340). Nous en reproduisons ci-dessous la partition, à ce jour inédite : les paroles y sont inscrites en patois, conformément au poème d'origine, et nous en indiquons la "version française littérale" en fin de page.

Un exemplaire de cet ouvrage est conservé à la BMIU de Clermont-Ferrand (départemant Patrimoine) sous la cote A 30028.

 

Écoutez, peuple, écoutez :
Le ciel vous reproche
Que c'est trop plier ;
Et, sans vous bouger,
Vous vous laissez ronger.
Les Grands-Jours
Ne sont pas toujours.
Avec Noël le temps s'approche
Pour fondre les cloches :
Les fourneaux sont chauds ;
Nous avons ce qu'il faut.
Accourez, curés des paroisses,
Accourez, paroissiens.

***

Parmi les rares inspirations qu’Onslow consacra au piano il faut citer ici l’accompagnement d’une romance (“Souvenirs d’Auvergne“) dont les paroles et la mélodie sont de Etienne Teillard. Cette partition fut éditée en 1841 par Laussedat à Clermont-Ferrand. Nous en reproduisons ci-dessous le frontispice :

Enfin, c’est ici l’endroit de dire qu’Onslow fut non seulement inspiré par le folklore auvergnat, mais qu’il inspira lui-même à ses contemporains et successeurs plusieurs partitions “auvergnates“ : au violoncelliste Georges Hainl, originaire d'Issoire et qui donna des concerts à Clermont-Ferrand en 1832 et 1839, ses Souvenirs du Mont-Dore ; à son cher ami Franchomme, un Air auvergnat ; à Saint-Saëns sa Rhapsodie d’Auvergne Opus 73 ; et à Georges Alary sa Symphonie de la Montagne.

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